La peinture d’Yvonne Sabelète est d’essence poétique, mais plus précisément pourrait-on dire, phénoménologique. Elle se perçoit comme attitude intérieure, par une attention soutenue à l’objet de l’étude – une vue plein large, un rocher emblématique, un âne faisant le guet, dont apparaissent alors la suprême espérance, le tracé immuable, l’attente la plus tranquille. Eternité visible dans le contour de l’îlot de Goulien qui apparaît, non pas seulement comme point central d’un paysage, mais bien plutôt tel un portrait très intense et parfois un peu âpre.
VERNISSAGE mercredi 27 septembre 2023
de 18 à 21 heures
D’abord le large, ourlé d’un liseré d’or, et un sentier près du phare qui éclaire la baie d’Audierne ; ensuite, en longeant des murets aux callosités anciennes, paraît le vent, un de ces vents de là-bas qui vous prend à l’improviste, balayant des dunes tout épinglées d’oyats ; il agite la lumière au point de la rendre insensée après l’averse, et telle alors qu’elle vous restituerait le monde à ses débuts, parfaitement inaltéré -- n’a-t-on pas découvert, dans une grotte non loin, les traces d’un des plus anciens foyers jamais allumés par l’homme ? -- ; et puis, sentez cet air tout juste avant l’ondée, si pur qu’il influe sur la vue et la rend assez limpide pour que chacun puisse tracer la côte au plus précis des récifs, au secret de ses anses, au hasard de ses ports -- abris si petits qu’ils surgissent par surprise tels des barques de pierre.
Celui qui peint se comprend-il comme créateur d’une réalité ? De la distance entre son vœu et sa vision, et plus encore entre ce qu’il peut voir et ce qui est, miroite un paysage en quelque plage de la conscience. En observant les œuvres d’Yvonne Sabelète, survient l’idée que l’immédiat, ici, instaure le temps, et qu’un regard particulier a établi comme un contact avec ce qui, en tout endroit, se dissimule pourtant si aisément.
Autre marche plus au nord -- le Cap Sizun se prête à tant de pas et tant de haltes sobrement essoufflées – pour admirer la mer qui inlassablement travaille. Les mauves, les roses, se contractent un peu sous l’assaut du kornog qui agite assidument l’orpin, l’armérie, la callune. Envie d’aller voir, vers le vide, parmi les scintillements d’une éclaircie, une pensée neuve tout ivre de jeunesse. Comme souvent, la vision se dérobe, l’espace refuse de se laisser saisir, renvoie une ombre où des gravelots d’humeur criarde trouvent refuge.
Faut-il arpenter seul le bout du monde où l’on perçoit, se sentant prêt soudain à un envol, que l’essentiel s’étend sur l’eau et qu’il échappe ? La virée se ferait rude certains jours, à certaines saisons, mais c’est tant mieux ; cela ravive la santé d’une claire véhémence, d’une allégresse austère. Les peintres jouent de ces couleurs montant avec la marée… qui se joue d’eux. Surtout les profondeurs sont exigeantes et spiritualisent par l’affrontement continu du roc et de la vague. Sur les brisants, ou dans une crique abandonnée même des chaloupes, l’instant serait aussi puissant qu’aux premiers jours où, dans la lumière jubilante, apparurent d’un même trait les poissons et leurs prolongations alertes allant à tire d’ailes vers leur perchoir, au Kastel Koz de Beuzec ; d’ailleurs ces noms qui sonnent comme un ressac n’ouvriraient-ils pas quelque rêve bardique, quelque aventure étrangement supérieure ?
La peinture d’Yvonne Sabelète est d’essence poétique, mais plus précisément pourrait-on dire, phénoménologique. Elle se perçoit comme attitude intérieure, par une attention soutenue à l’objet de l’étude – une vue plein large, un rocher emblématique, un âne faisant le guet, dont apparaissent alors la suprême espérance, le tracé immuable, l’attente la plus tranquille. Eternité visible dans le contour de l’îlot de Goulien qui apparaît, non pas seulement comme point central d’un paysage, mais bien plutôt tel un portrait très intense et parfois un peu âpre.
Ce qui est donc communiqué n’est plus un élément, dans l’apparence de son immobilité, prisé pour son mystère, sa force ou sa beauté, mais un événement. La falaise, le vide, la mer, le rocher isolé et splendide ne sont plus de ces lieux simplement contemplés : ils ont lieu, ils adviennent dans la pleine substance du monde, en concordance avec lui.
Ce monde, en permanente représentation, parce qu’il est un spectacle, se présente à nouveau : l’aube élargit le regard vers la réserve naturelle dont les craves sonorisent avec ardeur les abords, où les guillemots ponctuent l’espace, où les fulmars prospèrent sur les déferlements d’un théâtre sans fin ; jusqu’à ce que le crépuscule s’annonce par nappes d’ombres sur les galets de l’anse de Lesven. Les genêts s’éteignent, le pays semble se clore sur son secret. Il est temps de quitter ce séjour qui jubilait encore quelques instants auparavant, de le laisser à sa soudaine sévérité, et de rentrer, poussé par le gwalarn qui déboule sur les chardons en mouvement.
Temps de gagner l’intimité de la maison dont Yvonne Sabelète fait entrevoir le décor : vue d’un salon dont la baie s’ouvre sur un pan de jardin, luisance discrète des objets pastellisés et comme crayonnés le plus longtemps possible, assiettes garnies de poissons plats ou de sardines -- prolongements d’une de ses pêches esthétiques. Et temps aussi de parler de l’être, ainsi que cela vient souvent le soir. Et même -- pourquoi s’en étonner ? -- de l’être de ce flet ou de la sole, ou l’être de l’îlot chargé des fastes de l’été et des tempêtes drues ; c’est ainsi dire bien plus que le poisson ou le granit : c’est traduire l’onde, et la tension du corps qui la sillonne, et l’immensité qui le porte ; c’est livrer l’évidence effective de la présence rocheuse qu’encercle la transparence de l’eau ; c’est révéler que l’œil les contemple jusqu’à ce que la vue s’allège ; et c’est quelque chose qui se situe au-delà encore, que peut-être l’âne dans son pré aura vu : pas seulement le temps dont chaque chose est faite, mais cette pérennité présente en toute chose et en tout corps. Toujours, le dessin semble ici saisir la même logique du mouvement intérieur, la même exigence du regard que lors de la randonnée riche et tonique, d’où l’on revient finalement rassasié et de souffle et de sel et d’idées qu’une gwerz révèlerait, où il serait question de fête des bruyères et de la submersion d’une cité mythique.
Alors oui, nous nous souvenons qu’il est une contrée, près de Pont-Croix, pleine de consonnances et de légendes ; un cap où les habitants des terres diffèrent de ceux du littoral, tellement que, dans un même mervent charriant les lourdes coques des nuages, reviennent en mémoire les noces des paysans avec les champs qui rivalisent encore avec les récits brumeux des naufrageurs d’antan. Il est des couleurs et des pétillements de ciel qui donnent envie de tourner le visage vers l’ouest où la terre prend fin et s’immerge le soleil.
Merci à Yvonne Sabelète, dont les initiales du nom impriment une puissante et symbolique réminiscence, de nous avoir conviés à cette procession de paysages, de nous avoir laissé reposer l’œil dans le souriant calme de chez elle, et d’avoir su nous rappeler les moissons d’orge et de goémon d’autrefois, les phosphorescences heureuses du temps, ces trouées éclatantes de bleu et ces grains brefs sur les étendues d’herbe et de lichen, qui font la vue plus perçante qu’ailleurs.
Bernard Pichon Euzen
yvonne sabelète
bretagne - entre ciel et terre
Du 25 septembre au 10 octobre 2023.
Vernissage, mercredi 27 septembre de 18h à 21 heures.